BÉSIGNAN



Lacroix : Statistiques du département de la Drôme 1835



BÉSIGNAN



BÉSIGNAN. - Ce village est situé dans le canton du Buis, à l'est et à peu de distance de Sainte-Jalle ; sa population est de 183 individus.
M. Duclaux, plus connu sous le nom de marquis de Bésignan, était seigneur de ce lieu, et il eut la téméraire pensée de donner de son château, en 1792, le signal de la contre-révolution. Il entretint des correspondances avec l'étranger et les royalistes de Lyon et du Comtat ; il fit réparer les fortifications du donjon de Bésignan, et le pourvut de vivres, d'armes et de munitions. Les communes voisines s'en alarmèrent ; elles appelèrent, dès le mois de mai, sur le château de Bésignan, la vigilance de l'administration. Une visite domiciliaire y fut faite le 27 juin, mais elle n'eut aucun résultat bien important. Cependant les mesures de défense de M. de Bésignan ne se ralentissaient point. Il était évident qu'il donnerait bientôt le signal de quelque mouvement insurrectionnel. Les communes renouvelèrent leurs plaintes, et les gardes nationales s'armèrent. Deux administrateurs du district de Nyons, MM. Caton et Alexandre Romieu, se rendirent sur les lieux, avec quelques troupes, le 22 août 1792, et après avoir parlementé avec M. de Bésignan, et s'être assurés de l'intention où il était de résister, ils firent investir la place. Des gardes nationales accoururent de toutes parts se joindre à la troupe de ligne. Un camp se forma sous les murs de Bésignan ; on attendait de l'artillerie pour battre en brèche, et à voir ce grand appareil de guerre, on eût dit qu'une campagne longue et sérieuse allait commencer. Le siége dura jusqu'au 27. M. de Bésignan voyant qu'il n'était pas secouru, et qu'il ne pouvait tenir contre des forces aussi considérables, s'échappa, dans la nuit du 27 au 28, avec sa femme, ses enfans et les personnes qui avaient partagé les hasards de sa fortune. Le 28 au matin, les portes du château s'ouvrirent. On s'y précipita, et l'on ne se contenta point de briser et de piller tout ce qui s'y trouvait : on le démolit entièrement.
Le commandant et l'homme d'action de ce siége était un capitaine de volontaires de la Haute-Garonne, nommé Ayral, sous les ordres du lieutenant-général d'Albignac, commandant la réserve intérieure de l'armée du midi. On croit que c'est M. d'Albignac qui, justement effrayé de l'exaspération qu'il voyait autour de lui, favorisa l'évasion des assiégés, pour prévenir de sanglantes représailles.
L'entreprise insensée du marquis de Bésignan fut marquée par la destruction des châteaux de Saint-Sauveur et de Sainte-Jalle, que les troupes, les gardes nationales et la tourbe populaire incendièrent ou démolirent en se retirant.
Les vainqueurs souillèrent aussi leur victoire par un événement tragique. Parmi les personnes qui s'étaient échappées du château, était un ecclésiastique de Remuzat, nommé Autran. Trouvé errant et arrêté le 28 août sur le territoire de Bellecombe, on le transféra le même jour à Nyons. Les troupes et les gardes nationales du siége revinrent presque en même temps dans cette ville. Autran venait d'y être constitué prisonnier. On enfonça les portes de la prison, on s'empara du malheureux, et il fut mis en pièces ! .... On doit à la population de Nyons la justice de dire qu'elle fut étrangère à cet acte de barbarie. A une époque encore assez rapprochée de l'attentat, j'y ai entendu les hommes de toutes les opinions n'en parler qu'avec l'accent de l'effroi et de l'indignation.
On ne lira pas sans intérêt les actes officiels qui se rapportent à cet événement. En voici la copie fidèle :
A MM. les Administrateurs du directoire du département de la Drome.
Le conseil général de la commune du lieu de Bésignan expose qu'il est bien douloureux pour cette municipalité de n'avoir à adresser aux autorités constituées que des plaintes toujours relatives au sieur Duclaux de ce lieu et ses adhérens.
Ces plaintes sont d'autant plus aggravantes, qu'elles sont perpétuelles et journalières. Il ne cesse d'entretenir dans sa maison de campagne des gens suspects et malintentionnés, outre qu'il ne respecte aucune propriété ; il ne cherche, au contraire, qu'à détruire et endommager nos campagnes, soit en venant d'ici ou de là, soit en chassant dans nos récoltes pendantes.... Et comme ils sont en nombre plus considérable qu'on ne trouve de personnes réunies dans cette municipalité pour les dissiper, et qu'ils sont inconnus, nous ne pouvons donner aucune suite à de tels attroupemens. Ils ne cessent de menacer les propriétaires qui les réprimandent quand ils chassent dans leurs propriétés ensemencées : ils sont venus à cette extrémité de mettre le fusil en joue contre différentes personnes.
Il semble que son ci-devant château doit devenir une forteresse par les fortifications qu'il y fait continuellement, même les jours de dimanches et fêtes, et par les personnes qu'il renferme, et en voyant arriver de toutes parts des espions qui portent et remportent les nouvelles aux aristocrates qui sont coalisés avec lui de différens endroits. Il est des personnes qui sont si effrayées d'un tel appareil, qu'elles ont pris le parti de sortir de cette municipalité.
A ces causes, nous recourons à ce qu'il vous plaise, Messieurs, de vouloir bien employer les secours que les lois vous mettent en main et que la prudence vous suggérera. - Signé J. Roland, maire ; J. Blanchard, J. Monier, officiers municipaux ; J.-C. Roland, notable ; Deydier, C. Arnaud ; Meffre, procureur de la commune ; Sauvayre, curé.
- Cejourd'hui 19 août 1792, l'an IV de la liberté, à dix heures du matin, par-devant nous juge de paix du canton de Sainte-Jalle est comparu Jean-Pierre Teste, fils de Jean, citoyen de ce lieu de Sainte-Jalle, lequel nous a affirmé avec serment que, le jeudi 16 du courant, une femme de ce lieu se trouva sur la rue, et lui dit secrètement que le sieur Bésignan, avec sa troupe, devait venir au premier jour dans ce lieu de Sainte-Jalle pour y mettre tout à feu et à sang, et que s'il voulait s'en soustraire il n'avait qu'à marquer sa porte, et que cette même femme lui avait dit, toujours secrètement, d'en avertir la municipalité, sans la compromettre ; que ledit Bésignan l'avait dit à elle et à son mari ; de même que s'il entendait dire quelque chose contre lui, d'aller lui en faire part, en criant à la porte ce mot : Bésignan, et que cette alerte devait arriver avant le 24 du présent mois. Elle ajouta qu'il lui avait fait voir une grande quantité de lettres venant des frontières du royaume et de divers ennemis de l'état ; que certaines lui avaient été apportées par des exprès dans leurs queues, et qu'il avait fait moudre dans huit jours treize saumées de blé-froment pour provision, et qu'il continue toujours ; et en présence de sieur Etienne Bonneau, maire de ce lieu, et de M. Jullian, curé de cette paroisse, il a signé sà déposition ; dont acte. Encore présens les sieurs Guintrandy, Jean-Joseph Teste et Jean-Baptiste Allemand, citoyens de ce lieu. - Signé J.-P. Teste ; E. Bonneau, maire ; Jullian, curé ; Guintrandy, J.-Joseph Teste, B. Allemand ; F. Loubier, juge de paix ; Teste, secrétaire-greffier.
- Du même jour et an que dessus, à cinq heures du soir, est encore comparu pardevant nous juge de paix sieur Joseph Roux, citoyen de ce lieu de Sainte-Jalle, lequel nous a affirmé avec serment que, le samedi 11 du courant, il fut au lieu de Bésignan, au château du sieur Duclaux, où étant il a trouvé le sieur Duclaux, et il lui a demandé des nouvelles du temps ; il lui a répondu qu'il aurait en moins de vingt-quatre heures de temps plus de 4,000 hommes à son service, et même tout le Comtat, et que quand on apporterait des pièces de 4, elles ne feraient pas plus qu'à son c.., et qu'il se f.... de tous ses ennemis ; qu'il avait assez de pain, et que quand il l'aurait fini il mangerait de la bouroulette, et qu'il lui présenta un drapeau rouge auquel étaient écrits en lettres noires ces mots : Déclaration de guerre, et de suite il lui fit lecture d'une lettre venant des pays étrangers qui lui disait de tenir ferme, qu'on lui donnerait bientôt du secours, et que si le roi était inquiété, ou qu'on lui fît quelque tort, on passerait tous les Parisiens au fil de l'épée, et tous ceux qui ne voudraient pas se soumettre à eux et surtout les intrus.... les intrus.... et que l'assemblée nationale n'a jamais dit si bien la vérité que quand elle a déclaré la patrie en danger ; qu'on faisait des troupes, mais qu'elles n'iraient pas au camp sans qu'elles fussent mortes de faim, et que Lyon n'avait point voulu en fournir. Ledit Roux déclare qu'il ne se rappelle pas de beaucoup d'autres propos hostiles qu'il lui avait tenus, et a signé ; dont acte. - Roux ; F. Loubier, juge de paix ; Teste, secrétairegreffier. Extrait sur la minute. Signé F. Loubier, juge de paix ; Teste, secrétaire-greffier.
- Nous François-Nicolas-Joseph-César Caton et Antoine-Alexandre Romieu, administrateurs du district de Nyons, commissaires nommés par l'arrêté du conseil d'administration du jour d'hier, à l'effet de nous rendre à Bésignan pour les causes énoncées audit arrêté, étant arrivés cejourd'hui, à huit heures du matin, au moulin de Sainte-Jalle, dit vulgairement le moulin du Plan, que nous avions indiqué pour le lieu de réunion à MM. les commandans des volontaires nationaux en garnison au Buis, de la gendarmerie nationale de Nyons et du Buis, avons trouvé lesdits volontaires et gendarmes arrivés. Nous avons fait part à MM. les commandans de l'objet de notre mission, et avons fait lire, à la tête de la troupe assemblée, l'extrait de l'arrêté du conseil d'administration, et de suite nous nous sommes mis en marche, accompagnés de la troupe, pour nous rendre au ci-devant château de Bésignan. Lorsque nous en avons été à une portée de fusil, nous avons prié MM. les commandans de faire faire halte à leurs troupes respectives, et nous nous sommes avancés, accompagnés des commandans des volontaires et de la gendarmerie, de plusieurs officiers et gendarmes, précédés d'un tambour. Nous avons aperçu plusieurs hommes armés sur les toits de la maison et aux fenêtres : le nombre nous a paru être de quinze à vingt. Un moment après, nous avons vu un drapeau rouge arboré sur une des tours. Nous nous sommes arrêtés, avons attaché un mouchoir blanc au bout d'une canne, avons fait battre un ban par le tambour, et avons fait flotter notre drapeau blanc en avançant. Au signe d'intentions pacifiques de notre part, le drapeau rouge a été baissé. Un des hommes que nous avions aperçu armé d'un fusil sur le toit, a fait le mouvement de repos sous les armes. Étant arrivés sous les fenêtres de la maison, une dame, que nous avons reconnu être l'épouse du sieur Duclaux fils, s'est montrée, et nous a demandé qui nous étions et ce que nous voulions. Nous lui avons répondu que nous étions des commissaires du district, qui souhaitions parler au sieur Duclaux fils : elle nous a dit que nous pouvions lui parler à elle, que son mari était à son poste. Ayant insisté, et lui ayant donné notre parole que la troupe qui était arrêtée n'avancerait pas sans notre ordre, elle s'est décidée à faire appeler son mari, qui a paru à la même fenêtre. Il nous a fait les mêmes questions que son épouse ; nous lui avons fait la même réponse, en ajoutant que, sur les bruits alarmans qui s'étaient répandus, le district nous avait députés pour visiter la quantité des armes et des munitions renfermées dans sa maison. Il a dit que le district n'avait point d'ordre à lui donner ; que d'ailleurs la visite que nous voulions faire avait été déjà faite par un commissaire du directoire, et que depuis l'état de sa maison n'avait pas changé ; que d'ailleurs des visites domiciliaires ne se faisaient pas de cette manière ; que des commissaires ne marchaient pas avec une armée de baïonnettes. Nous lui avons observé que la troupe n'était pas dans des intentions hostiles ; que nous répondions d'elle : il nous a répliqué que nous étions bien hardis d'en répondre, qu'à Paris on n'avait pas pu en être maître, et nous a demandé d'où émanaient nos pouvoirs ; que nous n'ignorions pas que le roi était suspendu. Nous lui avons dit que nos pouvoirs émanaient d'une autorité constituée : il nous a dit que le roi était aussi autorité constituée, et qu'il avait été suspendu, et quelle autorité il y avait dans le moment. Nous lui avons dit que l'assemblée nationale était l'autorité supérieure seule qui fût reconnue par les Français dans ce moment, et que ses décrets devaient être exécutés comme lois du royaume. Il nous a demandé si nos pouvoirs étaient antérieurs ou postérieurs à la suspension du roi : nous lui avons répondu qu'ils étaient postérieurs. En ce cas là, nous a-t-il dit, vous pouvez faire ce que vous voudrez. Nous avons vainement employé toutes les voies de l'exhortation et de la douceur pour l'engager à nous laisser remplir notre mission : il nous a dit qu'il était résolu à s'ensevelir sous les ruines de son château ; qu'il avait été menacé par ses ci-devant vassaux, et que s'il périssait il périrait beaucoup de monde. Nous lui avons demandé pourquoi ce drapeau rouge arboré sur sa maison ; qu'aux termes de la loi du 8 juillet dernier, c'était un signe de ralliement et de rebellion : il n'a rien répondu. Nous l'avons sommé pour la dernière fois de nous ouvrir les portes de sa maison : il nous a dit qu'il ne laisserait entrer que quatre personnes. Nous lui avons dit que puisqu'il persistait dans ses résolutions, nous allions nous retirer, et que l'administration se verrait forcée d'employer des moyens violens pour le réduire : il a dit qu'il était résolu à tout. Nous nous sommes retirés à l'endroit où la troupe s'était arrêtée, et de suite se sont présentés à nous les sieurs Loubier et Teste, juge de paix et secrétaire de paix du canton de Sainte-Jalle, lesquels nous ont exhibé des dépositions faites devant le tribunal de paix contre le sieur Duclaux fils. La gravité des faits contenus dans lesdites dépositions nous a engagés à requérir le commandant des volontaires de se cantonner au village de Bésignan et de cerner par des postes le château, avec réquisition de mettre en état d'arrestation toutes les personnes qui sortiraient du château. Nous avons de suite fait une réquisition à la municipalité de Bésignan pour faire fournir le logement et l'étape à la troupe jusqu'à nouvel ordre. Le commandant nous ayant observé qu'il n'avait pas assez de monde pour faire les patrouilles nécessaires, nous avons requis le commandant du bataillon de Sainte-Jalle de commander tel nombre d'hommes que le commandant des volontaires jugera convenable, pour l'aider dans sa garde des postes, jusqu'à ce que l'administration ait statué à cet égard.
Le juge de paix de Sainte-Jalle, sur notre réquisition, nous a remis une copie certifiée de la déposition ci-dessus relatée, qui sera jointe audit procès-verbal.
Nous nous sommes retirés à Sainte-Jalle, où nous avons dressé le procès-verbal, que nous avons signé avec les commandans et officiers des volontaires et de la gendarmerie et gendarmes qui nous accompagnaient.
Fait à Sainte-Jalle, le 22 août 1792, l'an IV de la liberté, à deux heures du soir. - Signé Alexandre Romieu, Caton ; Guillaume-Marie Ayral, commandant ; Reynaud, gendarme ; Lasserre, capitaine ; Chevandier-Valdrome, lieutenant de gendarmerie, 12me division.
Au Directoire du district de Nyons.
Frères et amis, je vous ai promis de vous donner connaissance de la situation de notre camp : je m'acquitte de ma parole. La nuit a été tranquille. Des patrouilles, qui se croisaient sans cesse, ont cerné toute la nuit le château, où régnait aussi la plus grande surveillance. Ce matin, j'ai rapproché les postes à deux portées de fusil du château. J'ai cru devoir les multiplier, parce qu'une colline laissait une trouée par où l'on aurait pu s'échapper. Tous nos volontaires brûlent de monter à l'assaut, et comptent pour rien leurs fatigues. Ce matin, lorsque je faisais la ronde des postes, M. Duclaux m'a demandé une conférence pour affaires importantes. J'ai consenti à me transporter à moitié chemin du château. Il s'est plaint que j'interceptais toute communication avec l'extérieur. - Tels sont mes ordres. - Si j'avais prévu, hier, j'aurais souffert la visite domiciliaire, quoique illégale. - Vous en étiez le maître, et vous vous seriez évité ces moyens de rigueur. - Je vais écrire au département, pour savoir de lui quand tout ceci prendra fin. - Quand nous aurons des canons. - En attendez-vous ? - Oui. - Mes murailles résisteront à leurs coups, et je me défendrai vigoureusement. - A la bonne heure. - Mais pourquoi faire des brèches, puisqu'il y a des fenêtres par lesquelles vous pourriez entrer ? - C'est que nous ne voulons nous introduire que par la brèche. - Je vais écrire ; me promettez-vous de faire tenir mes lettres au district et au département ? - Je vous le promets. - Devez-vous toujours me garder ainsi ? - Jusqu'à nouvel ordre. - Mais je puis faire aussi des lois chez moi, et si vos volontaires s'approchent jusque dans la colline, je ferai tirer dessus. - Ils riposteront. - Tous les passages me sont fermés. Je prends ma viande au Buis ; je suis forcé de m'en passer. - Nos volontaires ne mangent que du pain. - Je vais écrire. - Je ferai prendre vos lettres.
Voilà notre conversation. J'ai cru devoir vous en faire part.
Je vous préviens que l'étapier de Nyons a refusé de fournir l'étape sur votre réquisition. En conséquence, je vous prie d'adresser de suite à la municipalité du Buis des ordres pour le forcer de la fournir pour demain et les deux jours déjà écoulés. En attendant, nous vivons comme nous pouvons, et l'on nous fournit du vin du moulin du Plan.
Nous attendons avec impatience des canons pour terminer ce siége. Deux compagnies de gardes nationales sont venues ce matin s'offrir à le continuer avec nous.
Je suis avec la plus intime cordialité votre affectionné concitoyen. - Signé Guillaume-Marie Ayral, capitaine-commandant.
Au camp de l'Égalité, ce 23 août l'an IV.
Bésignan, ce 23 août 1792.
Messieurs, quelle fut ma surprise lorsque je vis hier, sans motif, approcher de ma demeure un membre du district entouré de beaucoup de monde, et suivi, à 150 toises de distance, d'un gros corps de troupes qui n'avait rien moins que l'apparence de protéger les lois, mais plutôt celle de faire une attaque vigoureuse et vexatoire ! Ma surprise fut bien plus grande lorsque l'administrateur énonça sa mission. Muni d'un extrait du procès-verbal de visite dressé le 27 juin dernier à la suite des mouvemens et inquiétudes de plusieurs municipalités voisines, je ne pouvais croire avoir donné lieu à une seconde, tandis que ma position n'avait nullement changé, et que bien loin d'avoir rien fait pour aigrir les esprits, je n'avais eu rien tant à coeur, malgré les dangers qui m'ont toujours entouré, que de montrer la plus grande tranquillité. Après avoir témoigné mon étonnement à M. l'administrateur, il n'insista pas moins à faire une seconde visite domiciliaire, réprouvée par les lois. Je lui répondis que je m'étais bien volontiers soumis à la première, par suite de mon dévoûment à la tranquillité publique ; que je me rendrais, quoique à contre-coeur, à la seconde, toujours d'après les mêmes motifs, si la loi n'était entourée que de gens suffisans pour la protéger ou pour sa dignité, mais que la suite d'environ 200 hommes ne devait pas être regardée de ma part pour une simple protection. J'ajoutai que, lors de la première visite, l'administrateur commis ne s'entoura que de deux gendarmes ; qu'aucune démarche postérieure n'avait pu rien altérer dans les formes, et que j'étais prêt, si l'on voulait venir de la même manière, à ouvrir mes portes.
M. l'administrateur, je ne sais sous quel prétexte, n'écouta point mes représentations et se retira.
Sa retraite fut suivie de dispositions dans la troupe aussi singulières que contre le droit des gens. Dans un instant, ma demeure fut entourée par la troupe entière, de manière à ne me laisser aucune communication, pas même celles nécessaires à ma subsistance et à celle de ma maison ; ce matin même, les postes multipliés posés dans la journée d'hier ont reçu l'ordre de me resserrer encore plus.
Quelles que soient les autorités, elles ont des règles à suivre, et excepté qu'on ne veuille faire croire à l'univers entier qu'il n'en existe plus en France, on doit du moins en conserver l'ombre.
D'après ces principes, M. l'administrateur aurait dû, au préalable, rendre compte de sa mission, de mes réponses et de mes interpellations, et prendre les ordres ultérieurs de ses commettans ; mais il ne devait pas, quand on se soumet même à des ordres que la constitution réprouve, commander de son pur mouvement des dispositions hostiles. J'oubliais d'ajouter que, sur mes diverses représentations, M. l'administrateur me parla de la loi du 8 juillet dernier ; sans la connaître précisément, je répondis que la municipalité du lieu ne m'avait fait aucune réquisition au sujet de mes armes, et qu'au reste ne m'ayant jamais fait l'honneur de m'inscrire au rôle des citoyens actifs, je ne croyais pas être soumis à la remise de mes armes, étant forcé, par la nature de ma position, à ne compter que sur elles pour mon salut et celui de ma famille.
Il est notoire que la conduite qu'on tient et qu'on va tenir me porte les plus grands dommages. L'administration présente voudra bien me permettre de lui observer qu'elle m'est responsable de tous ceux qu'elle aurait pu éviter, et je ne doute pas d'un instant que mes représentations n'amènent des réflexions aussi sages qu'humaines.
Qu'on n'imagine pas qu'un père de famille, résigné à lutter contre la mort et déterminé à défendre avec héroïsme ses enfans, se laisse ébranler à des appareils de guerre, qui ne devraient être employés que contre des puissances ennemies.... Mes résolutions ne changeront jamais. J'ai déjà dit souvent aux administrations que je sais subir la loi quelconque qui existe, mais que lorsqu'elles se voilent pour laisser consommer le crime, j'avais assez de caractère pour résister à son exécution ou mourir avec honneur.
J'ai l'honneur d'être avec respect, Messieurs, votre très humble et très obéissant serviteur, - J. Duclaux-Bésignan.
P. S. J'envoie copie de la présente aux administrations supérieures.

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